La Terre des Dieux

Texte associé à la série de photos La Terre des Dieux

La Terre des Dieux

Au commencement, à la fin des terres.

 

On avance dans le noir dans le silence, on avance dans le froid.

Le vent tombe du ciel, les spirales du souffle s’enroulent autour des pierres. Les feux un à un se sont éteints. On va vers la neige. Personne ne vient.

 

 

Mortes. Des pentes de craie et de chaux.

Les corbeaux battent des ailes au-dessus des glaces, rapportaient jadis le cœur rouge des guerriers. Maintenant la contrée est désertée. On marche dans la nuit, les nuages dévalent les précipices. Toute la noirceur des mondes enfoncée dans les yeux.

 

Dans le noir chaque point s’illimite. On s’éloigne toujours davantage.

 

Les hauts-plateaux s’effacent dans l’excroissance des ténèbres. Seule la neige ondule plus haut.

Il n’y a pas de chemin. Aucune empreinte.

Le noir débusque l’obscurité, gagne ses ombres. Les brouillards soulevés aux lisières ont empli les fosses. Il y a peut-être des lacs qui gisent au fond.

Nulle ombre nulle âme.

Le noir rayonne au contact de la neige. Sa densité gagne en épaisseur. À hauteur de bouche une buée.

 

 

L’étendue des glaciers au loin plus haut au fond du ciel. Le sol ne se dérobe pas, c’est le seul lieu à chaque pas.

La profondeur est devant. Un ensevelissement dans la poussière des nuits.

Nulle opacité cependant. Un cristal noir. La transparence des anges.

 

Les plaines d’éboulis sont parsemées d’éclats.

Le crissement du givre ouvre une voie lactée. L’espace se dilate dans l’obscurité crépitante avec le chant des pierres qui se fendent. On prend la force de l’air respirable.

 

 

Des yeux s’ouvrent dans le noir. Hors du temps.

On traverse des champs gelés.

Après la chute des étoiles des milliers d’herbes scintillent. La moire des phosphorescences restent sous les paupières où gire l’effervescence des constellations.

Le corps de la nuit s’allonge.

 

 

Qui chante ? Quelle voix mugit entre les pierres ? Qui soulève le vent dans la tourmente ?

Sur le bord extrême une lueur, divague, se perd. La pente est rude.

Est-ce une voix ?

 

 

Cette nuit sans matin, l’éternité. L’espace a envahi le temps.

 

 

On aborde nulle part. On avance, ce territoire absorbe la marche.

On ne sait pas où l’on va. Le vaste espace s’enroule autour d’un grain de poussière et ce grain de poussière est balayé et se perd sous le ciel.

 

On est traversé par le vent.

Sur quoi marchons-nous ? À quel moment du jour ou de la nuit ?

 

On a perdu les signes.

 

Une sidération.Vide, sans avant ni après.

Sans présence.

On ne devine ni les mesures ni les limites. À la fin où sera-t-on ? Du temps où la Terre était plate, les anciens navigateurs craignaient que leur vaisseau parvenu à ses confins ne bascule dans le néant. À la fin sur quel bord arrive-t-on ?

 

À l’envers du monde.

 

 

La lente pénétration des ténèbres.

Le corps pris dans les remous.

Le noir émet des ondes. Des pulsations. Un monde inorganique qui bat. Le chaos avant la création du monde.

 

La nuit donne jour.

 

 

Le noir rayonne de partout. Il y a de la lumière dans ce noir, l’arc vertébral de l’obscur. Ce qui est sombre apparaît lentement. Des masses, des contours imprécis. Ce qui émerge approfondit le noir. Il vient de derrière, emplit la matière poreuse, une avance invasive qui ne tremble pas. Sans ombre.

 

Un monde sans images. Brutalement matériel.

 

 

Pause. Sur le bord d’une arête. Un appel d’air monte. En contrebas, des plaines dans le noir. Le filet d’un cours d’eau descendu des glaciers qu’on entend.

 

Un obscur-clair gommé sur ses bords. Un peu de lumière sourd de la neige ou peut-être du ciel renversé, coagule des formes, s’évanouissent dans le vent extrême.

Un monde sans appel. Ni espérance ni attente.

 

 

On n’entend pas la forêt. Elle est là d’un coup, dressée. Il faut traverser l’imprévisible, l’embrassement des troncs. Le cœur obscur. Traverser un silence. Les arbres sont très lourds.

Des congères entre les troncs des arbres morts. La neige n’a pas de forme.

 

Un bassin d’arbres sous la neige, des ramures gorgées de blanc, éclaire le coteau, fait sourdre une nostalgie dont il faut se détourner. On avance constamment en se fiant à l’étendue.

 

 

On va dans l’incertitude. Sans confiance. La réalité s’est dérobée. Que perçoit-on ? Tous les sens flottant en suspens. Quelque chose vient au devant de notre conscience. Quelque chose s’invente.

 

 

 

Les voyageurs trouvèrent une barque dans laquelle ils montèrent tous et portés par le courant ils s’éloignèrent sur l’eau du lac vers l’autre rive.

 

 

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