Romanesques actualités
On croit lire la presse d'information et voilà qu'on est en plein roman. Que s'est-il passé pour que, insidieusement, on soit entré sur ce terrain ? Peu de journaux qui n'entretiennent la confusion. Le Monde même flirte avec le genre : titres clins d'oeil « L'inspecteur qui venait du froid » (25 août 2010), incipit engageants « C'est en voyant la tête du greffier du tribunal qu'ils ont compris que c'était grave » (29-30 août 2010), « Dans le train qui l'emmène jeudi 26 août 2010 à La Rochelle, Martine A. peste contre la presse. » (28 août 2010), personnages types, « À 15 ans, Roméo Duduveica a déjà le sentiment de rater sa vie » (26 août 2010), « Olli Heinonnen est un Finlandais d'une soixantaine d'années, à l'allure débonnaire. Une épaisse mèche de cheveux grisonnants barre son front. Il parle avec la précision du scientifique. » (26 août 2010). Puis des histoires, avec tout ce qu'il faut d'ingrédients, comme dans le récit du 29-30 août, une intrigue et des héros, un couple modeste abusé par un avocat véreux, des rebondissements, l'intervention salvatrice d'un justicier, le parquet en l'occurrence, et tout est bien qui finit bien, le méchant, confondu, sera puni, dormez bien braves gens ! Quand il ne s'agit pas de véritables sagas au titre retentissant, « Face au scandale » (29-30 août 2010). C'est Dynastie à la française, une famille se déchire sur fond d'argent et d'intérêts. D'un côté une fille sage et discrète dont le visage évoque « un masque de tragédie », (c'est la petite Antigone ?), elle porte malgré tout une écharpe rose, pour la photo. Elle s'adonne au piano, joue Bach durant une longue enfance solitaire (comme cette l'héroïne qui aimait Mozart, Bach et les Beatles -Love Story-). L'amour viendra,justement, un jeune homme grave qui ne fait pas partie du sérail. Coup de foudre, réticences des familles, mariage dans l'intimité, solide. De l'autre, une mère si belle qu'on la compare à Ava Gardner, riche et entourée de gens mal intentionnés. C'est la rupture, la guerre. Bien entendu, on aurait pu et avec le même titre – cette version a aussi eu droit à quelques pages médiatiques il y a quelques mois – avoir la vieille dame indigne et ses saltimbanques face à une famille ulcérée...
Tantôt l'approche romanesque se réduit à une allusion qui entretient la connivence avec le lecteur, tantôt elle prétend se faire plus proche de lui en le distrayant et en humanisant l'information par le biais de l'anecdote, du personnage exemplaire. De fait, elle offre une grille de lecture confortable en utilisant des codes et des stéréotypes assis dans les habitudes du public. Mais ce recyclage du roman dans ce qu'il a de plus traditionnel, en activant les réflexes du lecteur, lui permet mal d'évaluer où il se situe par rapport à l'information donnée et surtout de garder du recul face à elle. On entre dans un roman, on reste à distance d'un article de presse. L'information n'a pas à susciter identification, complicité, soulagement. Un témoin n'est pas un personnage ni ce qu'il a vécu une fiction close sur elle-même. Enfin l'information ainsi empaquetée risque fort d'être dite dans une langue soumise elle aussi aux poncifs simplificateurs, avec des mots que l'on n'interrogera plus et qui participent aux péripéties romanesques : « la croissance », « le quotidien », « le fossé », autant de termes imagés, subjectifs, qu'un appel à témoins loin de rendre plus précis risque d'estomper davantage dans le pittoresque ou l'émotion là où l'information requiert rigueur, esprit critique, réflexion...
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