Le Sentiment géographique

Le Sentiment géographique de Michel Chaillou, Gallimard, « L'Imaginaire », 1989.

          Le Sentiment géographique, c'est une nouvelle collection chez Gallimard dont le responsable est Michel Chaillou. C'est aussi le titre d'un ouvrage de Michel Chaillou, paru en 1976 et réédité en 1989. Quel sens donner à cette expression, le sentiment géographique ? On songe - et c'est bien ainsi qu'il faut commencer, en songeant - à une variante de la carte du Tendre, et l'on approche, en effet, de ces contrées sentimentales offertes à l'arpenteur subtil, rêveur, amant, poète : ce sont là des synonymes. Le sentiment géographique est l'évidence que toute rêverie apporte à sa terre. Ici, c'est celle de l'Astrée qu'il s'agit et cette terre arable du songe1est celle du Forez où coule le fleuve Lignon.

          Ce petit livre parcourt en tout sens et en somnambule une étendue repérable d'après une carte dont l'échelle s'est endormie, croisant l'écho des paroles échangées par les bergers d'une pastorale alanguie depuis Louis XIII dans un moutonnement de mots et les méandres des phrases avec d'autres propos, ouvrages anciens d'agriculture et d'élevage, annales, discours savants sur le sommeil..., murmures et mirages. Honoré d'Urfé n'a pas été au bout de son ouvrage – cinq volumes dont il ne termina que les trois premiers - , englouti comme le dormeur. De L'Astrée, Michel Chaillou ne reprend que quelques phrases, répétées, ruminées comme par un effet d'écho. À quoi bon davantage ? Les mots roulent sans fin, tournoyant, aspirant le lecteur jusqu'au cœur de ce pays égaré - ou dans ces tourbillons où Céladon perd la vie en se noyant - .

          Qu'est-ce que lire, en effet, sinon se noyer infiniment dans un vertige, bruissement des herbes, méandres du fleuve, larmes du berger, écho des phrases, fouillis verbal... Un endormissement gagne, épouse l'ondulation conditionnelle des lignes, entend tinter les épithètes comme grelots et sonnailles. Le Forez est terre volatile.

          Ce merveilleux petit livre est la rêverie passionnée d'un lecteur.

 

1 Saint-John Perse, Anabase.

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