Le Bois du Chapitre
A Verdun
Le Bois du Chapitre de Pierre Bergougnioux, Éditions Théodore Balmoral , 1996.
Dans le remarquable ouvrage de Jean-Christophe Bailly, Le Dépaysement, Voyages en France (Seuil, 2011), quelques pages poignantes rapportent la traversée par l'auteur des alentours du Fort de Douaumont, sur la route qui va de Varennes à Verdun. Sur le site des Éparges, on peut voir des cratères dont les entonnoirs bossellent le tapis herbeux. C'est, écrit Jean-christophe Bailly, "le contraire du monumental factice". Pierre Bergougnioux a fait un jour sur les mêmes lieux le même voyage. Il le raconte dans Le Bois du Chapitre, avec une émotion aussi forte.
Le Bois du Chapitre, c'est un petit bois à gauche de la D 112, près de Verdun. En cette année où les commémorations de La Grande Guerre ne manquent pas, aller chercher non pas les récits de combats, les témoignages du front ou de l'arrière, les reconstitutions terriblement héroïques, mais ces traces qui restent aujourd'hui dans un paysage bouleversé, c'est accepter d'être confronté à l'ici-maintenant d'un passé insoutenable, un passé qui ne passe pas, spectral.
Le livre de P. Bergougnioux s'ouvre sur la description de statues d'airains ou de bronze qui élevaient un hommage à des martyrs héroïques que l'auteur enfant n'identifiait pas comme les "Gueules cassées" qu'il lui arrivait de côtoyer. Lorsqu'il est en âge de comprendre, "ils avaient disparu de la lumière tiède, changeante, où nous passons", dit-il magnifiquement. C'est donc une fois ces êtres atterrés, mutilés, disparus, qu'adulte il se rend sur les champs d'honneur. Lui aussi y découvre que "c'est, paradoxalement, l'absence pure et simple qui témoigne du passé, de sa persistante présence." L'imagination n'a pas sa place dans ce silence. La terre défigurée, cicatrisée est couverte d'une végétation qui en épouse étroitement les blessures et se referme sur elles.
La langue et le style de Pierre Bergougnioux sont si beaux que l'on voudrait apprendre pas coeur bien des phrases de ce petit opuscule.
J'ai pensé à un autre livre que j'aime particulièrement, Écorces de Georges Didi-Huberman (Minuit, 2011), écrit au retour d'une visite à Auschwitz, qui interroge ce qu'est un "lieu de mémoire" : "La destruction des êtres ne signifie pas qu'ils sont partis ailleurs. Ils sont là, ils sont bien là : là dans les fleurs des champs, là, dans la sève des bouleaux, là dans ce petit lac où reposent les cendres de milliers de morts. Lac, eau,dormante qui exige de notre regard un qui-vive de chaque instant."Et c'est ce bruissement qui vient vers notre présent.
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