La Petite lumière, d'Antonio Moresco, aux Éditions Verdier

         La petite lumiereChaque soir, lorsque l'obscurité se fait sur le hameau déserté où il a trouvé refuge, le narrateur aperçoit une petite lumière qui s'allume dans la forêt, sur le versant de la montagne qui lui fait face. Il part à la recherche de sa source et découvre un enfant qui, comme lui, vit seul dans une maison d'un autre temps.

          Le livre refermé, on le feuillettte à nouveau, non pas pour comprendre : l'histoire est limpide, mais pour la parcourir une nouvelle fois comme pour s'assurer que son enchantement est intact et qu'on peut à volonté le renouveler, franchir la forêt, passer quelque part une invisible frontière entre les lignes, entre les mots et atteindre un pays mystérieux : "Traverse-toi aussi, il y a quelqu'un qui t'attend de l'autre côté"( p. 11), suggère le narrateur au début de ce récit. 

          Aux dernières lignes, le sens de l'histoire nous atteint au dépourvu, à l'instant-même où nous découvrons ce que nous savions depuis longtemps, comme le narrateur lui-même sans doute le savait depuis le premier soir où la petite lumière s'est mise à briller dans le noir. Si l'on parcourt à nouveau les pages, le coeur serré d'émotion, c'est plutôt en quête de ces signes im-perceptibles au premier abord qui nous ont guidés à notre insu  jusqu'au mystère, jusqu'à la lueur des derniers mots, la résolution de l'énigme - qui est un mystère encore plus grand -. Parmi ces signes, il y a des hirondelles,  des lucioles, des lampes qui veillent au cimetière... Ce sont des êtres et des choses bien réelles qui accompagnent la quête du narrateur. Ce ne sont pas des symboles, ni même des métaphores dans le récit. L'écriture de Moresco les livre dans leur existence élémentaire, dans leur présence. Ce sont des témoins sur une frontière, une face tournée vers ce monde - le nôtre -, et l'autre face vers un autre - que nous ne voyons pas. "Comment savoir si au-dessus du ciel il y a un autre ciel ?" (p.106)

          En relisant, nous saisissons ces frêles témoignages comme autant de petites lumières."Tous continuent à mourir et à renaître et à mourir à nouveau, toute chose dans le même cercle de la douleur créée." (p.120)

Extrait :

          "Même s'il est très tard, je m'obstine à rester ici, à regarder cette petite lumière qui palpite sur l'autre crête. La nuit est limpide, les étoiles sont partout dans cet immense espace creux au-dessus de moi. J'ai tiré la fermeture de mon sweat, j'ai ramené la capuche sur ma tête, parce que la nuit on commence à sentir le froid dans ce lieu entouré de tous côtés par la végétation et par les bois. J'ai aussi les jambes en peu engourdies, parce que je suis assis depuis longtemps à regarder la petite lumière, alors que l'enfant doit dormir dans sa petite maison en pierre au milieu de la forêt, tout seul.

          Je me lève de la chaise en fer. Je me dégourdis les jambes. Il fait nuit noire, mais je n'ai pas sommeil.

          Je sors par le portillon, je le referme machinalement derrière moi, même si ici il n'y a personne et que je pourrais le laisser ouvert. Je me dirige vers le petit cimetière en bas de la descente, avec tous ces lumignons rouges qui palpitent dans la nuit. Je traverse le hameau, je continue à marcher sur la petite route en pente, on entend seulement le bruit de mes pas sous cet immense espace noir et oublié plein d'avalanches d'étoiles. Certaines nuits, quand c'est la bonne période - et en ce moment ça l'est - aux bords de la route, il y a des centaines, des milliers de lucioles. Elles pullulent au milieu du feuillage épis et noir, avec leurs myriades de petites lumières qui s'allument et s'éteignent par intermittence, on a l'impression de marcher dans un monde enchanté. Je fais attention à ne pas écraser celles qui traversent le chemin sombre en voletant à ras de terre, à ne pas cogner de la jambe ou du bras celles qui flottent devant moi comme pour me montrer la route. Quelquefois j'en prends une dans la paume de ma main, je regarde de près son pauvre petit corps transfiguré par cette lumière qui filtre de ses parties molles, entre ses petits viscères." (pp.52-53)

Antonio Moresco, La Petite lumière, Verdier, 2014

 

 

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