Là où le noir règne

À propos de Les Larmes de Spinoza, de Pascal Commère, Le temps qu'il fait, 2009

           Le livre du jour est un recueil de sept récits denses et sombres – irradiants – de Pascal Commère, parus sous le titre Les Larmes de Spinoza1.

          Ils convoquent les fantômes de sept personnages qui ont chacun, à un moment du temps, accompagné l'auteur enfant puis adolescent et lui ont ouvert les sources vives de la poésie. Ces taiseux surgissent dans la nuit des mots. Rares sont les livres qui nous amènent au plus proche de ce fonds obscur où le trait maladroit d'un crayon sur une pierre trace un premier signe énigmatique. C'est cette part d'ombre qui est donnée à l'auteur, une leçon des ténèbres. Nous avons déjà parlé sur ce blog de ceux que les mots interdisent, de ceux qu'ils arrêtent par leur silence quand ils sont à leurs yeux traces noires sur la page de clarté. L'énigme démunie, et cependant donne, d'emblée, accès au mystère de l'écriture où s'ente la poésie.

           Maria « ne lit pas de livres » et peut-être ne sait-elle pas écrire, mais chaque semaine elle envoie une lettre à sa fille. Yan, dont la vue a «( basculé)dans le noir » est celui dont la présence a permis de «( traverser) la nuit », « usant d'un langage qui tient à l'écart cette part de songe qu'incarne à mes yeux ce que je crois être la poésie et que nous ne nommons pas, de peur de froisser l'essentiel ». L'éclat sombre du charbon auréole encore Eddy lorsqu'il swingue contre les flippers du café embué. Et les autres, au creux des jours, la fillette orpheline devant qui le mot « maman » n'a plus cours, et Jean le bûcheron à la main blessée qui boit le vin noir jusqu'à ce que « le jaune plombe le fond des timbales », tous voisins du grand sapin « seul à même de recueillir l'étoile, depuis tant d'années, lui dont la pointe touchait le ciel tout en haut », abattu dans l'allée. Ce qui est beau, dans ce livre, ce sont ces veines souterraines qui relient l'arbre aux êtres bousculés par la vie, l'épistolière dépourvue des lettres à l'élève qui recopie comme sien un poème de Carco, les étudiants en traduction à l'homme en casquette qui s'appelle Spinoza. Les phrases aux constructions heurtées, serrées, elliptiques de Pascal Commère tirent leurs traits le long de ces parcours obscurs jusqu'à faire luire dans l'ombre un instant un visage secret que les mots livrent enfin.

1Le temps qu'il fait, 2009.

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