L'Atlantide de P. Benoit
"... sur la feuille blanche, là."
Confrontée au matériau très riche qui va nourrir l'écriture de La Croix du Sud (ce titre est tout provisoire, il sert pour l'instant de repère), l'envie m'est venue de relire L'Atlantide de Pierre Benoit. Surprise ! Oublions l'intrigue surannée de la femme orientale fatale qui attire à leur perte les officiers français - encore que le narrateur use d'une distance ironique pour que le lecteur ne s'y laisse pas prendre et révèle, par exemple, l'origine bâtarde probable de l'héroïne, fille illégitime "d'un ivrogne polonais et d'une fille du quartier Marbeuf"-, ou multiplie à ce point d'invraisemblables clichés qu'on en vient à se demander si son héros, Saint-Avit, n'a pas inventé toute l'histoire sous le coup d'un délire, perdu dans les solitudes du Hoggar.
Peu importe ! Ce que je découvre maintenant dans ce livre, ce sont comme des trouées dans le récit, "mirages, fumées", la quête d'un éblouissement dont le frémissement et la terreur se glissent dès les premières pages et dont la peau blanche de l'hétaïre ne sera qu'un moment.
"Un gros insecte est entré par la fenêtre. Il bourdonne, rebondit des murs crépis au globe du photophore, et enfin, vaincu, il s'abat sur la feuille blanche, là". Sur la feuille blanche : dunes éperdues de lune, ombres bleues des méharis, ruines oubliées, neige improbable, tombeau légendaire, et partout des signes errants : inscriptions effacées repeintes à l'ocre, étymologies incertaines, bibliothèques antiques enfouies...
Et lorsque paraît enfin Antinéa, c'est à peine si le narrateur la voit, "troublé comme [il l'est]" Tel Perceval l'égaré, il constate : "Le corps d'Antinéa, je ne le voyais pas. Vraiment, ce fameux corps, je n'aurais pas pensé à le regarder, même si j'en avais eu la force." Elle, dont la furie venge Calypso, Ariane, Médée, Didon, Cléopâtre et Bérénice bafouées et abandonnées, est la forme ravissante d'une extase désirée et perdue à jamais.
(L'image est une des photos qui accompagnent le rapport militaire du Raid aéro-automobile de 1920 à travers le Sahara au cours duquel périt le Général Laperrine. Archive conservée par mon arrière-grand-père)
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