Une exposition in-visible
In-visible, Christel Bruneel, Doreen Le Marinel
Le nom paradoxal donné à cette exposition peut s'entendre comme une invite à voir dans l'Ouvert dont parle Rilke dans la Huitième Élégie, « ce pur espace devant nous, où vont les fleurs / infiniment s'épanouir. […] ce Rien sans lieu, ce nulle part : / vierge de tout regard »1. Il faut aller là-bas et entrer dans le visible, entre les toiles, entre ces branchesnoiresqui s'espacent, dans la transparence des blancs de Christel Bruneel. Ce sont des tableaux suspendus entre ciel et terre. Sur le plus récent, le plus poignant peut-être, il y a un oiseauin-visible. Reste l'émotion de son passage – ou de son chant – un trait bleu.
On se tient immobile dans la salle où Doreen Le Marinel présente ses toiles. Des personnages, des visages viennent au jour. Le photographe Nadar rappelle que « selon Balzac, chaque corps dans la nature se trouve composé de séries de spectres, en couches superposées à l'infini, foliacées en pellicules infinitésimales, dans tous les sens où l'optique perçoit ce corps. […] chaque opération daguerrienne venait donc surprendre, détachait et retenait en se l'appliquant une des couches du corps objecté. »2Imaginons maintenant qu'un peintre feuillette ainsi par effacements successifs et grattages le visage, le corps qu'il a peint, qu'il fasse apparaître comme en arrière de la peinture l'intensité d'une présence et l'on aura une idée de ce que découvre le travail de Doreen Le Marinel. Il y a un moment bouleversant lorsqu'on se trouve devant ces tableaux – et ce n'est pas un hasard si dans le fond de la salle, on voit des toiles plus anciennes où apparaissent des animaux qui rappellent les peintures rupestres - : les personnages qui sont là ne nous regardent pas, ils ont les yeux ouverts sur cet espace dont parle Rilke, ils ont ce regard de l'animal « muettement levé sur nous, (qui) nous traverse et passe outre, calmement ». Ils sont « en face, et rien d'autre que cela ». Dans ce passage, peut-être, on entrevoit un territoire innocent et silencieux où ces êtres émaciés à vif nous précèdent, entre la nuit profonde et le jour absolu, entre l'écrasement des pierres et l'élan d'une résurrection, des limbes diaphanes et palpitantes pour des créatures, venues d'on ne sait quel désastre, quelle souffrance, et traversées par la grâce.
1 Rainer Maria Rilke, Les Élégies de Duino, trad. Armel Guerne, Points, Seuil, 1974
2Nadar, Paris-Photographe, cité par Hubert Haddad, Le Nouveau magasin d'écriture, Zulma, 2006.
Salle du Patrimoine à Mesquer (44) jusqu'au 15 juin 2010.
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