Loup y es-tu ?

Une pointe d'humeur.

          La biennale nantaise Estuaire 2009, l'art, le paysage et le fleuve a vu surgir des œuvres éphémères ou pérennes, créées par des artistes du monde entier, le long de l'estuaire de la Loire, de Nantes à Saint-Nazaire. C'était beau, follement intéressant et inventif, et l'été, par ces chemins, aura été plus poétique. La revue 303 qui consacre un numéro spécial à cette manifestation permet  à ceux qui n'ont pas eu le bonheur de se promener sur ces territoires d'explorer ces paysages artistiques.

          Une question, cependant : Que venaient faire les loups là-dedans ? _ Les loups ? _ Oui, il y avait des loups produits pour la circonstance dans les douves du château de la sage Duchesse Anne. _ Un rappel de l'époque médiévale, peut-être ? _ Que nenni ! Cette présence s'inscrivait dans une démarche résolument ancrée dans l'art contemporain. On voulait y voir une évocation des peurs ancestrales et enfantines, l'irruption d'un monde sauvage dans l'espace urbanisé, la confrontation de la forêt ancienne et de la ville moderne, l'improbable conjonction de l'indomptable et du régulé, et, peut-être, le tremblement inquiétant de cette vertigineuse question : la cruauté est-elle bien du côté que l'on croit ?

          Foin de ces considérations. Nous laisserons aussi de côté la polémique qui n'a pas manqué entre les protecteurs des animaux indignés et les tenants de l'art vivant. Ce qui suscite notre doute est, semble-t-il, une confusion. Tel Théétète, au début du célèbre dialogue socratique du même nom, qui définit le Beau comme une belle femme, Stéphane Thidet, qui a imaginé cette réalisation, a pris la chose pour l'idée. Aucun loup n'est la sauvagerie et sa présence, loin de produire une émotion suggestive, ne provoque que curiosité. Cet ébahissement du bon public se rencontre habituellement au zoo.

          On préfèrera, non loin de cette exhibition, s'attarder dans le patio du Musée des Beaux-arts de Nantes1 où Ernesto Neto présente de vastes sculptures suspendues, Leviathan Thot, envoûtante immersion dans un labyrinthe de voiles transcucides, voyage à l'intérieur d'un corps-grotte ou d'un ventre-matrice monstrueux _ auquel on pardonnera l'ajout, pour l'occasion de la biennale de Nantes, de petits paquets de sucre évoquant, on ne peut l'ignorer, le commerce triangulaire _.

Pour donner envie d'aller VOIR ailleurs encore

ou à ceux qui n'aiment pas hurler avec les loups ou marcher à la queue leu leu

et ont aimé la ruée des 99 loups de Cai Guo-Qian enplissant la rampe du musée Guggenheim de New York,

ou jouent parfois à Loup-y-es-tu ?

Et ne s'empressent pas de crier au loup,

voici trois indications qui font signe sur la piste vers le sans nom, le basculement effaré sur un territoire sans visage :

  • Les premières pages d'un roman, traditionnellement réservé « à la jeunesse », Croc-blanc, de Jack London. L'ouverture décrit le monde glacé, inhumain, sans vie du « wild » où s'élève soudain la clameur bestiale des loups.1

  • Le travail photographique d'une artiste dont nous aurons tout loisir de reparler longuement, Hélène Bencazar, dont la démarche questionne l'entre-deux photographique dans une série d'images – de loups, entre autres, - et la place du spectateur2.

  • L'essai de Jean-Christophe Bailly, Le Versant animal3 où se tente la saisie en creux de l'imprenable animal.

Il existe différentes traductions de ce roman, celle de Paul Gruyer et Louis Postif, la plus littéraire, conserve le mot anglais « wild »qu'une note déclare « intraduisible ». La traduction de Francis Kerline, plus récente, utilise le néologisme « Boréage ».

2Voir le site www.helenebencazar.com

3Editions Bayard, 2007.

 

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