"Je" démission

             Dans le Monde des Livres du 11 janvier dernier, présentation du livre de Michèle Audin, Une vie brève (Gallimard), consacré à son père. On découvre qu'avant cet ouvrage autobiographique, Michèle Audin avait écrit deux ouvrages, tous deux étaient des biographies de mathématiciens victimes et ostracisés : Jacques Feldbau déporté et mort à Auschwitz, Sofia Kovalevskaya, discriminée en tant que femme. Comme si M. Audin avait eu besoin de ce double détour avant de raconter la vie brève de son mathématicien de père mort sous la torture.

            Ce qui m'intéresse, c'est de voir combien le coeur de l'écriture était, depuis le début, l'histoire de Maurice Audin, mais que  - peu importent les raisons, pudeur, douleur...- néanmoins, il y a eu ce cheminement, ce contournement. Et l'écriture a tout à y gagner, car à travers le récit des deux histoires étrangères une mise à distance s'est faite. Ce n'est pas le père qui s'est éloigné, c'est la fille qui a été déposée à distance de la narratrice. La narratrice s'est formée et pouvait ensuite écrire Une vie brève.

            Lorsqu'on commence à écrire, la tentation est grande d'occuper la place du narrateur, de prendre la parole. "Je" a des comptes à régler, des choses à exprimer, à affirmer... Alors qu'écrire, c'est tout le contraire. C'est une démission du "je", de cet agaçant sujet centré sur lui-même.

            D'aucuns comprennent qu'il faut donc parler du monde plutôt que de soi. Comme si il y avait des règles de bienséance ! Comme si "parler" et "parler de" avait du sens quand on écrit ! Mais non, c'est juste une question de position, de distance. Dire l'intime singulier, sauvage, impersonnel, sa nudité, sa nuit où le "je" est absent

       Les références de Michèle Audin : Claude Simon, Georges Pérec, Camus (Le Premier homme), Modiano (Dora Bruder).

 

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