Personne
- Par Nema Revi
- Le 17/09/2014
- Dans carnet de notes
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"Personne dévêt [l'homme] de toute image"
Voilà ce que dit Valère Novarina (1).
Effet libérateur de cette petite phrase. Quand le Nouveau roman annonçait la mort du personnage, il faisait résonner son deuil avec des accents post humanistes qui brouillaient la vigueur de la charge : "Mettre un terme au répertoriage, au coloriage, au quadrillage et à l'incarcération, à la numéri-visibili-fication à l'alphabêtisation de l'homme", comme le veut Novarina. Dévêtir l'homme de l'image de soi.
Oui, Déreprésenter : car chaque fois que l'on individualise (identité, marqueurs sociaux, profil psychologique), la tentation de l'illusion réaliste engendre le clonage, le stéréotype n'est pas loin, la quête éperdue de l'approbation reconnaissante ouvre à tous les compromis.
À l'opposé, "Personne est l'un des mots de notre langue qui s'ouvrent et s'offrent vides. Personne est tout le contraire d'individu, qui est cadastral, matériel et propriétaire. [...] N'importe lequel d'entre nous est plus ouvert que le nom qui le désigne."
Ce "personne", cet homme évidé désindividué que Novarina appelle de ses voeux chemine idéalement en même temps qu'une écriture enfin débarrassée des circonlucutions de l'ego : le prototype pourrait être K., le héros de Kafka, écrivain qui a su porter son style jusqu'à l'impersonnel, jusqu'à une abstraction. Le récit tire les ficelles de marionnettes à la manière des automates dont parle Kleist. Cette épure touche d'emblée à l'universalité.
_ Parce que, dit Novarina, cela permet de "retrouver au plus profond de nous le libre jeu du langage. Jeu comme on dit que deux pièces mal ajustées ont de l'espace, du vide entre elles. Retrouver la syntaxe du vide - l'air, le souffle qui est en nous comme au fond de toute matière."
L'écriture capte dans ce qui survient, au plus près des pulsions qui l'émeuvent, dans la signifiance, l'apparition du texte qui vient donner un corps de lettres à ses personnages.
Voilà pourquoi il est devenu si difficile d'écrire et de lire des romans aujourd'hui. Bien sûr, des tas de gens le font, et même avec un certain succès, un succès certain. Mais ce jeu apparaît sans enjeu, divertissement dont l'intérêt tient souvent au sujet (à la question de société, au drame humain...) traité. On compatit, on s'attendrit, avec empathie et psychologie, bref : on s'y retrouve. Alors que ce qui emporte, bouleverse, déchire, ce sont ces forces à l'oeuvre hors sujet individué, qui palpitent au rythme du monde.
(1) Valère Novarina, "Une pierre vide", in Observez les logaèdres, P.O.L, 2014.
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