Passionnément le faux pas

          Ce soir-là, il s'agissait d'écrire un texte au fil de la plume, sans lever la main, sans suspendre le mouvement pour retourner en arrière, pour relire, écrire d'un seul élan, sans raturer, sans arrêter par un point la coulée d'encre...

          Une longue hésitation avant de commencer, d'entamer la phrase.

         Puis l'écriture qui se livre, qui se déroule ligne à ligne. Parfois un frémissement, le battement d'une suspension, le geste à peine esquissé d'une possible correction. Non, elle va de l'avant, vaillamment, vers la fin de la page.

          Voilà, c'est fait. Le texte est écrit et elle va accepter de le lire.

 

          Tout d'abord, posément, elle dit : Ce n'est pas une chose possible pour moi d'écrire comme ça. Lorsque j'écris, je dois faire attention, relire. Je suis dyslexique, j'inverse les lettres.

           Elle lit ce qu'elle a écrit.

         Elle a écrit qu'elle ne peut pas écrire, qu'elle a toujours fait des fautes, qu'elle va faire des fautes, qu'elle fait des fautes tandis qu'elle lit et que le texte se gonfle et se précipite, que sa voix s'embue et en même temps, emportée par le rythme plus rapide, soudain bute et qu'elle est à nuedans la crue du texte et une, tremblante et seule mais unique, avec une page qui n'appartient qu'à elle et tresse, au-delà de toute détresse, son écriture, à la nage à la rage  (1) à la page, elle est née.

 

(1) Ghérasim Luca, à qui le titre de l'article rend hommage.

 

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