Le montage

          Lecture de L'Instant et son ombre de Jean-Christophe Bailly (Seuil, 2008)

          À partir de l'une des planches du Pencil of nature de W.H. Fox Talbot, "La Meule de foin" (1844), Jean-Christophe Bailly interroge l'apparition de l'image, ce qui se dépose à l'instant de la prise photographique. Il confronte cette planche aux images de l'homme soufflé apparu sur un mur d'Hiroshima au moment de l'explosion de la bombe. Il ne s'agit pas, note-t-il, d'une "association" d'ordre thématique, par exemple (les deux images montrent une échelle et son ombre portée), mais d'un "montage", bien que le rapprochement se soit imposé à la pensée de façon involontaire. Bailly propose de revenir au modèle décrit par Aby Warburg dans son projet d'un "atlas en images", Mnemosyne : "Le fait que chaque image soit potentiellement le recel d'une autre, le fait que l'univers de ces fixes que sont les images soit en permanence tramé et au fond tenu par une connectibilité latente, et donc par une mobilité constante, ce sont là les vecteurs de relance de l'histoire des formes d'une grande puissance de rayonnement. [...] Le montage découpe une histoire interne des images qui surfe librement sur la chronologie [...] pure activité qui, par des sortes de jets obliques, établit une possibilité infinie d'évasion." (pp.124-125)

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      Georges Didi-Huberman a écrit une étude complète (1) sur la démarche de Warburg. Il a aussi réalisé, avec Arno Gisinger, au Palais de Tokyo une installation (2) autour d'une planche de l'atlas Mnemosyne : Nouvelles histoires de fantômes. Des images et extraits de films sont projetés au sol et sur les murs comme une immense fresque mobile autour du thème de la lamentation funèbre. Le propos de Jean-Christophe Bailly pourrait décrire ce que montre cette installation : "Le chemin conducteur de la pensée se produit simultanément comme flux et comme articulation. [...] Au sein du flux continu-discontinu et conscient-inconscient du penser, c'est comme si chaque image de la bande passante avait la capacité de s'arrêter, et comme si chacun de ces arrêts sur image avait le pouvoir de faire repartir le film en en ayant infléchi le cours." (p.123)

  Tout le parcours des installations d'Anne et Patrick Poirier à Nantes, Curiositas, est ce flux-articulation qui ouvre des passages.

         

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 Remarque de Bailly : "Bien entendu, il ne s'agit pas de nier l'énergie avec laquelle une histoire (celle-là qu'on appellerait l'histoire) se construit de façon malgré tout objective, la question est seulement de libérer, à côté d'elle, la puissance germinative de ces rapports latents que l'histoire effective-effectuée ne recouvre jamais entièrement." (p.125)

          Ce travail du montage à l'oeuvre dans l'écriture chez Claude Simon.

         

(1)L'Image survenante. Histoire de l'art et temps des fantômes selon Aby Warburg (Minuit, 2002)

(2) à voir jusqu'au 7 septembre 2014

Photos de l'installation Nouvelles histoires de fantômes

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