Le Masque blanc

       Pierre est un enfant de la lune. Quand il est né, ils ont tous été bien attrapés.

       Il n'a pas d'âge. Il est né il y a six ans.

       Pierre porte un beau casque de cosmonaute. Aucun de nous ne peut le voir ; nous voyons la tête de Pierre, c'est à dire la lune avec ses lacs et ses creux, là où les étoiles sont tombées il y a des milliers d'années. Pierre est seul parmi nous, mais des fils tout autour de sa tête le relient à sa mère qui le suit du haut du ciel nocturne ; Pierre crie si on veut les toucher, par eux glissent les caresses que lui envoie la boule lactée toute gonflée qui se balance toujours au-dessus de lui. Ils se retrouvent certaines nuits quand Pierre se sauve dans le jardin et l'appelle avec des cris de loup.

       Pierre ne parle pas, chante comme les baleines qui voguent entre les nuages. Quand il monte sur leur dos bleuté, ensemble ils tournent autour de la terre. Avec les baleines, Pierre a appris toutes sortes de sons qui filent dans l'espace.

 

       Pierre est dans la salle debout face à la porte vitrée. Maïa écrase des craies et dilue la poudre dans de l'eau. Avec une éponge, elle badigeonne la vitre. Pierre voit la surface translucide toute moite de blancheur veinée de fines nervures. Le doigt se pose, hésite (Regarde, il tremble), l'index glisse, découvre une trace. Le support crisse un peu, la main se délie d'un coup, d'un cercle. Pierre touche le blanc et son doigt court, laisse circuler le trait. Le vent du dehors souffle tourbillons et zébrures, non pas tête, ni yeux, ni ombilics, mais boucles, griffures, enroulements, fils enchevêtrés comme empreintes d'oiseaux dans la neige.

       Maïa est installée de l'autre côté de la porte. Par transparence, elle voit l'enfant flou, la figure ronde un peu à distance du visage de chair, le masque blanc tatoué qui s'est emparé de lui et regarde des deux côtés, elle ignorée et lui que rien ne regarde, qui voit ce qui apparaît en blanc, intact.

 

       Les bras écartés, Pierre tourne sur lui-même. Reste la lune à voir.

Le Masque blanc ou L'Enfance de l'art s'inspire librement de l'exposition Masques blancs réalisée par Hélène Benzacar dans la Galerie du Lycée David d'Angers en 1999. Il est aussi un hommage à Fernand Deligny.

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