Brume de dieu
- Par Nema Revi
- Le 04/09/2013
- Dans carnet de notes
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Brume de dieu, Claude Régy
La première pièce de vrai théâtre que j'ai vue est La Chevauchée sur le lac de Constance de Peter Handke, mise en scène par Claude Régy à l'Espace Cardin, en 1974. J'étais jeune, j'habitais en province, et seulement de passage à Paris avec des amis, à qui j'ai faussé compagnie dans la soirée pour aller voir cette pièce.
Et voici que presque 40 ans plus tard, de passage à Paris, j'ai pu avoir un billet pour Brume de dieu, la pièce que Claude Régy a montée à partir d'extraits des Oiseaux de Tarjei Vesaas (un de mes livres-cultes). Et d'un coup, c'est comme si le temps ne s'était pas écoulé. Je reviens avec la même émotion foudroyée, ou ravie au sens propre du terme. Une heure vécue en état d'apesanteur, accrochée à la voix maladroite et transparente de Mathis (Laurent Cazanave), tendue dans l'obscurité vers l'horizon inaccessible des fermes tranquilles sur les berges et de l'amour d'Hege ; figée d'angoisse au-dessus de l'eau glauque comme cet autre qui ne saurait plus marcher sur les eaux et crierait vers ceux qui ne sont pas restés veiller avec lui. Ces extraits, quelques pages du roman, intenses. La profondeur soyeuse de la nuit et un interstice de jour bleu, une lueur diffuse qui détache un profil, la découpe d'un corps, la main, le pied tordu, le visage remodelé comme un masque, et la voix, rugueuse, hésitante, qui explore l'être, fouille l'ombre et surgit comme un cantique que ma joie demeure, la barque attachée au pied comme une ancre, comme un cercueil, comme un berceau.
On peut rester longtemps comme ça, à pleurer.
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