Penser autrui

Nathan octobre 2008 site    "[...] voir, entendre [...], penser autrui provoque une jubilation irremplaçable, devient aussitôt proposition, incitation pour son propre esprit à se mettre en marche, à concerter ou à faire son solo [...]. Le germe, le pouvoir germinatif ? à peu près toujours c'est à l'extérieur de soi qu'on le trouve."

           Claude Dourguin, Ciels de traîne, José Corti, 2011, p.62.

 

  • Prendre soin

              Saisissante réponse de Maurice Olender, l'éditeur de La Librairie du XXIe siècle, à une question de Chloé Brendlé dans Le Matricule des Anges n°151, de mars 2014 :

              "Tout texte - sur papier comme en lecture numérique - résulte d'une stricte philologie, d'une mise en place de points, de virgules, d'espacements qui, autant que les mots, produisent une émotion, du sens ou même une esthétique du non-sens. [...] N'est-on pas tenu d'être attentif à chaque signe d'un livre, comme toute démocratie se doit de protéger chaque citoyen au sein de structures étatiques où les équipements collectifs, nécessaires au plus grand nombre, ne menaceraient pas les individus les plus vulnérables ?"

              Dans ce même numéro du Matricule des Anges, lire la chronique de Charles Robinson (p.31), "Les Mains dans la lutte", ou comment on peut mourir à force d'indifférence ou, très provisoirement et très brièvement, se sentir exister pour quelqu'un, et peu importe de quelle manière et qui est ce quelqu'un. Et vous verrez, entre le propos d'Olender et l'anecdote de Robinson, il y a comme un écho...

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • "blanche, souple, clairsemée"...

              Ce  commentaire très juste de Clément Layet, au début de son ouvrage sur l'oeuvre d'André du Bouchet :

              "André du Bouchet suit pas à pas ce qui se transforme. Il s'arrête. Précise la relation. Et constate aussitôt que, telle qu'elle est, elle disparaît. Il décrit cette disparition sans réagir, avec neutralité, mais sa perception aiguë rend plus intenses nos propres relations avec ce qui est en train de se produire. Brusquement, sous nos yeux, la page se manifeste : blanche, souple et clairsemée, surface tangible d'une pensée..."

             Clément Layet,  André du Bouchetprésentation et anthologie, Seghers, coll. Poètes d'aujourd'hui, 2002

     

                                                      mais

    le souffle

                                      que tu ne retiens pas

    est

     

    le tien

    quand tu respires

    André du Bouchet, L'Ajour, "Congère", Poésie / Gallimard, 1998, p.158

    ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • "le réel, résidu du sens"

              "Faire le tri entre une littérature qui considère la réalité comme un donné préétabli à exprimer, et celle (à mon sens la bonne) qui considère que la littérature construit le réel."

                  Pierre Jourde, dans un entretien avec Thierry Guichard, Le Matricule des Anges, n° 148, novembre-décembre 2013

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • La Première Bibliothèque Ouvrière Municipale

    Voici comment Varlam Chalamov décrit l'ouverture à Vologda, sa ville natale, de la première bibliothèque ouvrière, en 1918. Il a 11 ans :

              "Les épaisses planches en bois fraîchement rabotés de la Première Bibliothèque Ouvrière Municipale sentaient la résine, la forêt vivante, et cette odeur se mêlait à celle, subtile, de papier moisi et de poussière qui émanait des livres. Les rayonnages fléchissaient sous le poids des bouquins aux reliures scintillantes ornées d'arabesques compliquées : les oeuvres complètes d'Alexandre Dumas, de Fenimore Cooper... Que de merveilles ! "

              Varlam Chalamov, Mes Bibliothèques, Trad. Sophie Benech, Éditions Interférences, 1992

    -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • "Raconter bien"

        "J'ai seulement envie de raconter bien, un jour, avec les mots les plus simples, la chose la plus importante que je connaisse  et qui soit racontable, un désir, une émotion, un lieu, de la lumière et des bruits, n'importe quoi qui soit un bout de notre monde et qui appartienne à tous."

    Bernard-Marie Koltès, in Revue Europe, 1983.

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

     

  • Le Tilleul

    Nous l'avons planté

    de nos mains

     

    Maintenant nous renversons

    la tête

    et déchiffrons sur lui

    ce que tout au plus

    il nous reste de temps

     

    Comme s'il avait un pressentiment, il emplit

    pour nous le ciel de fleurs

     

     

    Rainer Kunze, Nuit des Tilleuls, traduction Mireille Gansel et Gwenn Darras, ed. Calligrammes, 2009

     

     

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • L'oreille sur la page

              Dans l'article  nécrologique que Raphaëlle Leyris consacre à Michel Chaillou dans Le Monde du 18 décembre dernier, on trouve cité ce propos de l'écrivain  :

              "[ma] méthode" : "Une manière de poser l'oreille sur le sol de la page pour enfin entendre le mystère de ce qui survient. Car écrire, c'est lire (...) mais lire ce qui n'existe pas encore."

              L'Ecoute intérieure, entretien de Michel chaillou avec Jean Védrines, Fayard, 2007.

              Sur ce site, un article sur Michel Chaillou Le Sentiment géographique

    -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • Une allumette

              L'écrivain espagnol Javier Marias fait cette remarque : "Faulkner s'interrogeait sur le pouvoir de la littérature. Et il disait à peu près ceci : Écrire, c'est comme craquer une allumette au milieu de la nuit, en plein milieu d'un bois. Ce que vous comprenez alors, c'est combien il y a d'obscurité partout. La littérature ne sert pas à mieux voir. Elle sert seulement à mieux mesurer l'épaisseur de l'ombre."

              Propos cité dans Le Monde des Livres, vendredi 4 octobre 2013.

    ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • Robert Walser

    Un poème extrait de Blanche-Neige :

    J'ouvre la fenêtre

    c'est la sombre clarté du matin.

    Il a juste fini de neiger,

    une grosse étoile est à sa place.

                                                                      L'étoile, l'étoile

                                                                      est merveilleusement belle.

                                                                      Blanc de neige le lointain,

                                                                      blanches de neige les hauteurs.

    Sainte, fraîche

    paix du matin dans le monde.

    Chaque son tombe distinct ;

    les toits luisent comme des tables d'enfants.

                                                                       Silencieuse, si blanche :

                                                                       une grande et belle solitude

                                                                       où, dans le froid silence, tout

                                                                       propos se brouille ; en moi ça brûle ardent.

     

    Robert Walser, Étoile du matin

    Texte allemand et traduction par Hans Hartje et Claude Mouchard, in Le Nouveau Commerce 1987, cité en exergue de l'article "Un calme qui brûle", Claude Mouchard,  in Théodore Balmoral  n°6/7 . 

    -----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • Écorce

              Dans son merveilleux ouvrage, Traduire comme transhumer, Mireille Gansel rapporte cet extrait d'une lettre de Paul Celan à Nelly Sachs :

               "Je t'envoie ici quelque chose qui aide contre les petits doutes qui parfois nous assaillent ; c'est un morceau d'écorce de platane. On le prend entre le pouce et l'index, le tient bien fort en pensant à quelque chose de bon. Mais - je ne peux te le taire - des poèmes et surtout les tiens, sont d'encore meilleures écorces de platane."

              Mireille Gansel a traduit en français la correspondance entre Paul Celan et Nelly Sachs. "Ce petit morceau d'écorce de platane est pour [elle] un peu l'image de cette écriture dans leurs lettres. Soudain si concise, ramassée, dense. Tracées dans l'urgence et l'intensité, des phrases au souffle coupé."

              Elle ajoute : "La traduction, dès lors comme prise de risque syntaxique et sémantique pour rendre l'urgence et l'intensité de ces langages de l'extrême entre deux êtres."

    Le livre de Mirelle Gansel est paru aux éditions Calligrammes.

    -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • L'Aube

                L'aube, c'est l'instant où se lève la parole - et, avec elle, toute la lumière. Dehors, il fait froid. On ouvre la fenêtre, on jette du sel aux anges, quelques questions aux écrivains. Ils répondent avec cette voix qui n'est plus celle de la vie courante, pas encore celle de l'écriture. Avec cette voix faible - courante sous la cendre, tremblante sous la page.

              Ces phrases sur la première page de  Entretiens avec Nathalie Sarraute de Simone Benmussa, je les retrouve sur la quatrième de couverture d'un autre ouvrage, Trouver la source de Charles Juliet. Les deux livres ont été publiés aux Éditions Paroles d'Aube. Mais impossible de trouver l'auteur de la citation. On dirait du Christian Bobin.

             

    ---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • Sans force

              Je n'ai plus assez de force pour faire une phrase. Si encore il s'agissait de mots, s'il suffisait de jeter un mot sur le papier et qu'on pût s'en détourner, dans la calme certitude  d'avoir entièrement empli ce mot avec soi-même.

                 Franz Kafka, Journal, 27 décembre 1910, trad.Marthe Robert, Le Livre de poche/Biblio

    --------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • Le réel escamoté

               Sous le titre "Retour au réel", ces quelques lignes de l'éditorial de Thierry Guichard dans Le Matricule des Anges de juin 2013 :

              Quel est notre monde ? On saisit aujourd'hui l'importance du symbole dans les entreprises de lobotomisation générale. Du "président normal" à "c'est la France qu'on attaque" dès lors qu'un militaire se fait agresser, il n'est pas un jour sans que des symboles nous soient donnés en pâture. Il fut un temps, pas si lointain, où le symbole renvoyait à un objet ou à une pensée. Aujourd'hui, il renvoie au lieu commun, à une réalité absente, à un vide. Et représenter le monde sans cesse avec des images qui ne montrent plus rien, des notions dévitalisées [...], des symboles qui font "ploc !" est un bon moyen de retirer le monde aux hommes et ainsi de les précipiter dans une forme de chaos existentiel qu'on aura beau jeu de dénoncer [...].

    ----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

  • " la matière en train de se penser lumineusement"

               Parfois, un éclair blanc traverse tout, et l'image de la réalité devient radiographique. C'est une apparition, mais on n'y voit que la chose la plus simple. Exemple : La Ruelle  de Vermeer. Tout y est si minutieusement exact, qu'on ne comprend pas d'où vient le saisissement, et qu'il persiste. La lumière est intérieure ; cet intérieur est dehors. On voit la matière en train de se penser lumineusement ; on la voit devenir mentale sans cesser d'être de la matière.(1970)

        Ainsi commence Le Journal du regard de Bernard Noël, P.O.L, 1999.

  • "La neige tombe-t'elle semblablement dans toutes les langues"

              Lecture capitale : L'Autre langue à portée de voix d'Yves Bonnefoy (Seuil, 2013). Un essai (la réunion de plusieurs articles, conférences) sur la traduction ET une ouverture sur l'autre langue, sur l'écriture, comme le dit le titre.

              "La tâche du traducteur n'est pas de capturer la signification, mais d'en retraverser les fourrés en direction de ce qu'elle obstrue.", (p.95).

              Non que la signification soit négligeable, mais elle doit céder le pas au sens, compris comme la question "pourquoi vivre ? Comment, ici, maintenant, le faire ?", 'p.90.

              Revenir à cette expérience fondamentale  de la présence :

              "A des moments, souvent de façon soudaine, quelque chose ou quelqu'un nous apparaît au-delà de la prise des mots qui organisent et gèrent notre conscience du monde. Cette chose, cet être, ils sont là, devant nous, avec tout ce qui en eux est en plus des aspects pourtant nombreux que le langage y projette, autrement dit riches d'un infini, dans leur réalité sensorielle ou autre, que les concepts ne savent pas ni surtout ne veulent savoir.", (p.91).

     

              Cette expérience de la présence, du vivre, je la trouve en écho dans un bref roman traduit du tchouktche par Charles Wenstein, Éleveurs de rennes, d'Omruvié (Autrement, 2000).  C'est aussi ce que donnent les livres de Mario Rogoni Stern et, bien sûr, ceux de Tarjei Vesaas, par exemple.

  • "Pas de hors-d'oeuvres"

    Extrait d'une lettre de Jean Vilar à sa femme, Andrée schlegel :

              [...] J'imagine avec goût que dans toute oeuvre d'art, à quelque discipline qu'elle appartienne, tout ce qui n'est pas nécessaire est mauvais. Que la parfaite oeuvre d'art est celle où tout ce qui est écrit ou tracé ou peint est nécessaire, est complémentaire. Pas de hors-d'oeuvre. Pas de remplissage. Une logique nue. Que le nécessaire ! Le strict nécessaire ! Mais beau, bien sûr. Quand on a de l'instinct (donc le don de création) et qu'on s'est asservi aux exigences de l'école (école dans le sens général d'apprentissage), le difficile est non pas d'imaginer ou de pondre (car on est toujours prolifique entre 23 et 30 ans), mais de choisir dans ce que nous donne, nous offre trop obligeamment l'imagination ou l'inspiration. Le difficile est dans le choix. Il faut volontairement se serrer la ceinture. A quoi sert cette scène ? A pas grand-chose ? Eh bien je la bazarde ! A quoi sert cette ligne, ces lignes qui se reproduisent et se copient l'une l'autre pour représenter la mer ? A rien de vrai ? Remplissage, donc ? Je bazarde. [...]

              Lettre reprise des Cahiers Jean Vilar et citée dans Le Magazine littéraire de mars 2012.

  • "Un voyage intérieur"

              Beaucoup d'oeuvres commencent passivement. Être passif, c'est rester dans le chaos. On doit traiter le chaos et l'ordonner [...]

              C'est un voyage à l'intérieur d'un bloc informe. La pénétration est assurée par les outils manuels [...]. Après ça devient un voyage à l'intérieur.

              C'est ça l'art.

              Maintenant, je suis seule, je n'ai plus besoin de personne. Je poursuis moi-même et tout simplement cette investigation et ce voyage. A l'intérieur du bloc, je suis seule, absolument seule. Il n'y a ni famille, ni camarade.

              J'accepte le défi et il ne me terrorise pas, je l'accepte tel qu'il est.

              Louise Bourgeois, "Sculptures, environnements, dessins 1938-1995"catalogue de l'exposition au Musée d'Art moderne de Paris, 1995, ed. Musées-Ed. de la Tempête, p.94, cité par Eric Mézil dans la préface du livre de l'exposition Les Papesses, Collection Lambert en Avignon, Palais des Papes, 2013, Actes Sud, 2013.

  • "S'étonner de parler"

     Aller dans la nuit du langage. Aller toucher les mots qui en savent bien plus que nous. Les retourner, les porter à son oreille pour entendre : comme des coquillages. Être humble et défait. Renoncer à la stature humaine. Renoncer à toute représentation culturelle. S'étonner de parler.

             

              Valère Novarina, Rencontre, in Le Matricule des anges, n°119, janvier 2011

  • Vers le Nord

    Varanger, d'Alain Bernaud, Isolato, 2010

           Une île, aux confins du cercle arctique

          Les modulations de la transparence dans l'embrasure du vide

           Un livre mince et blanc, clos par une enveloppe translucide et craquante de papier lisse couleur de givre.

          Avant même d'ouvrir, avant même de lire, c'est très beau.

          Quelques instants avant

          Le mystère d'une respiration

        Nos pas frôlent l'empreinte  où gît la coque poreuse du ciel

           ou

        [les oiseaux] aussi sûrs que la lumière

        [...]semblant, à force de coups d'ailes aux pentes translucides du jour

         broyer l'infigurable 

            et

        Toutes les ligatures tiennent dans l'invisible


  • "Ici, on pourrait écrire des contes"

    Durant l'été 1943, Etty Hillesum, note dans le camp de Westerbork :

           "Ici, l'on pourrait écrire des contes. Cela vous paraît sans doute étrange, mais si l'on voulait donner une idée de la vie dans ce camp, le mieux serait de le faire sous forme de conte. La détresse, ici, a si largement dépassé les bornes de la réalité courante qu'elle en devient irréelle. Parfois, en marchant dans le camp, je ris toute seule, en silence, de situations totalement grotesques. Il faudrait vraiment être un très grand poète pour les décrire."

    Etty Hillesum, Une vie bouleversée, suivi de Lettres de Westerbork, Seuil, Points, 1995, p.296.

  • "Une caresse de coquelicot"

              Commencé la lecture de Une lampe dans la lumière aride, Les Carnets d'André du Bouchet (1949-1955) qui viennet de paraître dans une nouvelle transcription établie par Clément Layet aux Éditions Le Bruit du Temps.

               Dès la première page, ces deux vers :

               il imprime à chaque mot

               une caresse de coquelicot

     

              S'arrêter à ces deux vers, à ce mot effleuré, devenu ce gonflement de pétale, envol, léger, soyeux, d'un rouge vif, uni, tout simple, éclos, vagabond, lumineux...

  • Les yeux du voyant

     André du Bouchet, aujourd'hui, dans le Carnet 8, daté du 11 septembre (probablement 1951) :

         Ma faiblesse est de vouloir que ce que je dis soit vu - 

         Question : Avec quels yeux voit-on ce que dit le poème ?

  • "réveillé au monde"

    Le numéro de Théodore Balmoral, 66/67, décembre 2011, "Sous un grand parapluie bleu".

           L'entrée est une page de Travaux, "Les cerises", de Georges Navel, Folio/Gallimard, 1979, un texte touché par la grâce où l'auteur raconte pourquoi on revient faire la cueillette des cerises. Il termine par ces mots :

           "On ne respire pas, on boit l'air par petits coups et grandes gorgées avec les narines. Les moments sont nombreux où l'on se sent vivant, réveillé au monde."

  • Civilisés

            "Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. [...]

            Cette merveille a disparu.

            Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé. L'autre a incendié. [...] Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l'Orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'oeuvres d'art, il y avait un entassemant d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a rempli ses poches, ce que voyant, l'autre a rempli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits.

             Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie."

                Victor Hugo, 1861. Réponse à un Capitaine britannique à propos du sac du Palais d'été à Pékin au cours d'une expédition menée par la France et l'Angleterre en 1860.

  • Le "sans visage"

              Dans le Journal III de Charles Juliet, Lueur après labour (1968-1981), P.O.L, 1997,  tout un paragraphe résume les longues annnées de quête de l'écriture. Il commence par cette phrase : "J'ai le sentiment que je ne fais que commencer à écrire." Puis plus loin cette autre : "Il m'appartient désormais de creuser davantage, et aussi de chercher à inscrire dans ma phrase ce dont elle procède [...]".  Et il se termine par cette expression remarquable :

    "Il est ardu de veiller à ne pas défigurer le sans-visage." (p.231)

  • "Nommer l'ombre"

              Saisi au vol aussi dans Le Matricule des Anges n° 134, juin 2012, ce commentaire de Gwenaëlle Aubry sur la démarche de Sebald :

              "On ne rappelle pas les morts à la présence. On peut juste se souvenir qu'on les a oubliés. On peut aussi les rejoindre dans l'absence, apprendre à voir et à nommer l'ombre qu'ils projettent sur le visage des vivants."

    C'est exactement le propos de La Grande Ourse.

  • "...du dedans de la langue fait jaillir l’étincelle"

              Depuis le Flotoir de Florence Trocmé, 9 juillet 2012

              FT cite Mathieu Bénézet, Continuités d'éclats  (Éditions Rehauts) :

               "Qu’est-ce qui nous percute ? Qu’est-ce qui du dedans de la langue fait jaillir l’étincelle qui, nous percutant, nous laisse infiniment ouverts ?  
    Qu’est-ce qui s’ouvre, si ce n’est l’infinie possibilité de l’expression les uns aux autres ? Ce qui est proprement, poétiquement exposé sont nos limites, c’est là que nous venons philosophiquement parlant : l’extrémité vécue et pensée de la langue. Et le plus profond, le plus lointain s’ouvrent directement sur nous, nous donnent de cette langue dont ils sont chargés. Cela qui nous percute comme possibilité de fin, mais aussi de communauté
    . (Ce, 59) 

    « Cette extrémité vécue et pensée de la langue » qui ouvre comme « possibilité de fin, mais aussi de communauté » plus poignante que la nuit mutique (autiste ?) de P. Quignard.

  • Une autre langue

     Dans le carnet de notes de Peter Handke, Une année dite au sortir de la nuit, trad. Anne Weber, Le Bruit du temps, 2012 :

    Enfant, on se rencontre surtout dans une autre langue - cet endroit à floraison dense qui t'approuve. (p.168)